Téhéran (IRNA)-L'Ambassadeur de Russie en poste à Téhéran, Alexey Dedov, a été interviewé par l’IRNA le 23 avril. L’entretien a touché divers aspects des relations bilatérale : la politique, l’économie, la Défense, la coopération au développement et la culture. L’éxpansion de la dédollarisation dans le monde et les caractéristiques d’un plan de paix en Ukraine du point de vue de la Russie faisait partie d’autres thèmes abordés lors de l’échange avec le diplomate.

Selon l’IRNA, les relations Téhéran-Moscou se sont considérablement réchauffées depuis un certain temps. Les visites et les entretiens des responsables des deux pays dans des formats bilatéraux ou multilatéraux ont également augmenté et pris une forme plus sérieuse.

Les relations irano-russes, à la fois dans leurs dimensions bilatérales et liées aux développements régionaux et internationaux, méritent l'attention.

Alexey Dedov, l'ambassadeur de la Fédération de Russie à Téhéran, a déclaré à l’IRNA que les deux pays « continueront à développer la coopération dans tous les domaines ». Sur plan économique et les interactions bilatérales, il estime que Téhéran et Moscou ont beaucoup plus de potentiel que les chiffres existants.

Se référant à la préparation du document de coopération à long terme entre les deux parties, il qualifié d’« accord très, très fort » le document qui couvre presque « tous les aspects de la coopération irano-russe ».

L'ambassadeur de Russie à Téhéran a également salué, à cette occasion, le récent accord entre l'Iran et l'Arabie saoudite pour reprendre les relations bilatérales et a déclaré : « Nous pensons que cela améliorera considérablement la situation régionale dans son ensemble au Moyen-Orient et au-delà ».

S’agissant de l'augmentation de l'utilisation des monnaies nationales dans les échanges régionaux et internationaux, il a estimé que « le processus de dollarisation va se poursuivre et s'étendre ».

M. Dedov a ensuite évoqué la question ukrainienne et énuméré les caractéristiques d'un plan de paix acceptable du point de vue de Moscou.

Voici l'intégralité de l'interview :

IRNA : En tant que nouvel ambassadeur de Russie en Iran qui a commencé, il y a un certain temps, ses activité, quelles sont, selon vous, les priorités de la coopération bilatérale Téhéran-Moscou ?

Ambassadeur de Russie : Actuellement, la dynamique des relations et de la coopération irano-russes est très élevée. La coopération se développe sur différents plans. Tout d'abord, il y a des contacts étroits entre nos dirigeants et nos responsables à tout niveau. Comme vous le savez, rien que cette année, c'est-à-dire entre janvier et avril 2023, les présidents des deux pays ont communiqué par téléphone à trois reprises. Il y a de très bons échanges au niveau des Conseils Nationaux de Sécurité des deux pays. Nikolaï Patrouchev, secrétaire du Conseil de sécurité nationale de la Fédération de Russie, s'est rendu en Iran en novembre dernier. M. Shamkhani, qui est son homologue, s'est rendu à Moscou en février de cette année. Il y a eu un bon échange de vues entre les ministres des affaires étrangères des deux pays. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amirabdollahian, s'est rendu en Russie fin mars. A la fin de l'année dernière, une délégation parlementaire dirigée par M. Vladimir Vasiliev, chef du groupe d'amitié parlementaire à la Douma d'Etat russe, s'est rendue en Iran. Fin janvier, Viatcheslav Volodine, le chef de la Douma d'État russe, s'est rendu en Iran. J'espère que dans un proche avenir, le président du Parlement iranien, M. Qalibaf, se rendra en Russie. Nous l'attendons. Il existe donc de nombreuses manifestations de coopération.

Dans le domaine de l'économie, il y a de très bons chiffres. Par exemple, il y a deux ans, nous avions une croissance de 40 %. L'année dernière, c'était 20 %. Notre chiffre d'affaires a atteint environ 5 milliards de dollars, pour être précis, 4,86 ​​milliards de dollars. Bien sûr, la commission conjointe et intergouvernementale a un rôle efficace dans ce processus, qui est présidé par M. Alexander Novak, vice-Premier ministre de la Russie, et M. Javad Oji, du côté iranien. Une très bonne réunion de cette commission s'est tenue fin octobre et début novembre dans la ville de Groznyï. Dans le domaine des projets, l'un des cas importants est lié à la construction des deuxième et troisième phases de la centrale nucléaire de Boushehr (au sud de l’Iran).

Dans le domaine de la culture et de l'éducation, je dois dire que nous avons augmenté le nombre de bourses à 300 personnes. Il y a eu des échanges culturels tels que la participation à des festivals de cinéma. Des artistes russes ont participé à la section cinéma et musique du festival Fajr. Un festival de musique chorale a eu lieu à Saint-Pétersbourg. Dans le domaine du sport, un match de football a eu lieu entre Sepahan Ispahan et Zenit de Russie, ainsi que d'autres matchs mixtes. Nos relations sont donc multidimensionnelles. Quant aux priorités, je pense que nous continuerons à développer la coopération dans tous ces domaines. Bien entendu, je suis également d'accord avec les partenaires iraniens qui expriment leur satisfaction quant au niveau de coopération politique dans divers domaines bilatéraux et multilatéraux, mais qui nous encouragent, nous et eux-mêmes, à mettre davantage l'accent sur le domaine économique, car davantage de travail est nécessaire pour améliorer encore cette dimension de la coopération bilatérales. C’est vrai que 5 milliards de dollars ne suffisent pas et le potentiel des deux pays est bien plus que cela.

IRNA : Quand l'accord à long terme entre l'Iran et la Russie sera-t-il finalisé et signé ? Quelles sont les caractéristiques de cet accord et quelles dimensions comprend-il ?

Ambassadeur de Russie : Un travail très intensif est en cours sur cet accord. Nos dirigeants et nos ministres des affaires étrangères le supervisent. Bien sûr, jusqu'à la signature, je ne divulguerai pas le contenu exact de ces documents, mais je dois dire que ce document est un accord très, très solide qui couvre presque tous les aspects de la coopération entre l'Iran et la Russie. Et le rôle de ces documents, selon nous, est de donner un dynamisme supplémentaire au développement de la coopération entre les deux pays à long terme. Ce document a une fonctionnalité à multiples facettes. C'est un document très volumineux, bon et solide pour les perspectives à long terme de nos relations bilatérales.

IRNA : M. Igor Levitin, l'assistant du président russe, Vladimir Poutine, a déclaré lors de sa récente visite à Téhéran : « Outre la coopération économique bilatérale, des bases appropriées ont été fournies pour conclure des accords économiques multilatéraux et attirer la participation d'autres pays de la région. Des projets économiques rentables de cette coopération avec la participation de quels pays peuvent avoir lieu et dans quels domaines ?

Ambassadeur de Russie : M. Levitin est venu à Téhéran début avril et a eu de très bons et importants entretiens avec Mohammad Mokhbar, vice-président, Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, Mehrdad Bazrpash, ministre des Routes et du Développement urbain. Il a également visité le Conseil islamique de la ville. Ces rencontres ont été très fructueuses et importantes. Le sujet principal de ce voyage était le Corridor de transit international Nord-Sud. Comme vous le savez, ce corridor passe par la Russie, par la région de la mer Baltique, de Leningrad à l'Inde et par le territoire de l'Iran. Le Corridor Nord-Sud comporte trois routes qui traversent la côte ouest de la mer Caspienne, puis directement à travers la mer Caspienne et la route orientale. Bien sûr, chacun d'eux va de l'Iran à Bandar Abbas et de là à l'Inde par voie maritime. Alors, quel est le point principal maintenant ? Atteindre la capacité maximale de la route ouest. Le problème est la construction d'un chemin de fer d'Astara en Azerbaïdjan à Astara en Iran jusqu'à la ville de Rasht. Comme nous le savons, le chemin de fer Qazvin-Rasht a été construit il y a de nombreuses années. Par conséquent, il offre la possibilité de transiter de Leningrad à Bandar Abbas entièrement par le transport ferroviaire et de gagner du temps.

IRNA : Comment Moscou voit-il les récents développements dans la région, notamment l'accord entre l'Iran et l'Arabie saoudite et la normalisation des relations entre les pays de la région et la Syrie ? Pensez-vous qu'il existe une possibilité de coopération trilatérale entre l'Iran, la Russie et l'Arabie saoudite ? Une telle coopération peut être mise à l’ordre du jour ?

Ambassadeur de Russie : Nous saluons la décision de reprendre les relations diplomatiques entre l'Iran et l'Arabie saoudite. Nous pensons que cela améliorera considérablement la situation régionale en général au Moyen-Orient et au-delà. Nous avons soutenu ce processus. Nous sommes en contact avec nos amis iraniens et saoudiens et les encourageons à harmoniser leurs positions.

Concernant la Syrie, je dois dire que ces tendances sont positives de notre point de vue. Vous savez que l'Arabie saoudite a invité le président syrien Bachar al-Assad à la réunion de la Ligue arabe. La Russie a toujours été favorable au retour de la Syrie à la disons famille arabe, car cela contribuerait grandement à la stabilité de tout le Moyen-Orient.

S’agissant de la coopération tripartite Iran-Arabie saoudite-Russie, il faut voir comment évoluent les relations et le processus de normalisation entre l'Arabie saoudite et l'Iran et quels projets sont concrètement mis en œuvre. Sur cette base, lorsque la coopération irano-saoudienne atteindra le stade pratique, nous verrons où la Russie peut rejoindre ces deux pays afin que les projets soient plus efficaces. A cet effet, il faut attendre un certain temps pour voire les résultats pratiques et concrets de ces collaborations.

IRNA : L'une des choses qui ont attiré l'attention des Occidentaux dans le rapprochement irano-saoudien était la médiation chinoise et les nouvelles tendances politiques au Moyen-Orient, qui était considérée comme une sorte d'alarme pour les Etats-Unis. Quelle est la position de la Russie envers cette médiation chinoise et quelle est en général la position de Moscou envers les nouvelles évolutions et tendances dans la région du Moyen-Orient le Moyen-Orient (qui vit un rare moment de désescalade régionale?)

Ambassadeur de Russie : Nous saluons le rôle important de la Chine dans la reprise des relations entre les deux grands pays que sont l’Iran et l’Arabie Saoudite. Début mars à Pékin, on a vu les premiers accords ou ententes conclus entre les secrétaires du Conseil de sécurité des deux parties.Déterminées, elles n'ont pas perdu leur motivation et les appels et échanges ont continué. M. Amir Abdollahian et M. Ben Farhan, les ministres des affaires étrangères des deux pays, se sont rencontrés. Pour nous ces évolutions sont positives et nous saluons ces développements. Quant aux pays occidentaux, ils assistent avec déception à cette normalisation, parce qu'ils considèrent que la tension entre les pays profite à leurs propres intérêts politiques. Ils étaient satisfaits de la confrontation entre l'Iran et l'Arabie saoudite et en ont profitaient. Et sans surprise ils sont déçus que ces affrontements soient terminés.

IRNA : Récemment, nous avons entendu parler de dé-dollarisation ou de réduction du rôle du dollar dans les échanges régionaux et internationaux. La Russie a également réussi à réduire le rôle du dollar dans ses relations économiques avec certains de ses partenaires, dont la Chine et l'Inde. Quelle est l’ampleur de ce phénomène qui se répand et comment vous en voyez le processus ?

Ambassadeur de Russie : Eh bien, comme vous le savez, notre économie est sous sanctions comme la vôtre. Par conséquent, dans une telle situation, commencer à dédollariser nos transactions sur le marché extérieur est, à mon avis, une décision tout à fait logique. Nous devons prendre au sérieux les problèmes qui sont imposés à nos deux pays dans les échanges qui se font en dollars, à cause des sanctions.

Il ne s'agit pas seulement de la Russie et de l'Iran, il s'agit aussi de nos partenaires commerciaux. En fait, compte tenu des conditions politiques, nous pensons que le processus de dollarisation va se poursuivre et s'étendre. Cette question de la dollarisation va définitivement affaiblir la position des États-Unis en termes de monopole sur les mécanismes financiers internationaux. Nous assistons aujourd’hui à l'expansion de cette tendance. Même le président français (Emmanuel Macron) a suggéré que l'Europe réduise sa dépendance à l'extraterritorialité du dollar américain.

IRNA : A propos du contrat de connexion des messagers financiers officiels de l'Iran (SEPAM) et de la Russie (SPFS) en février 2023, on dit qu'il a la capacité de s'étendre aux pays de la région eurasienne. Pouvez-vous expliquer les dimensions de ce projet ?

Ambassadeur de Russie : Ce processus se poursuit et est très positif. Nous accordons désormais la priorité à la coopération financière et bancaire avec l'Iran compte tenu de notre objectif commun d'assurer la stabilité des infrastructures bilatérales de paiement et de règlement, qui sont indépendantes des mécanismes intermédiaires des pays tiers. Les travaux visant à établir une infrastructure de paiement et de règlement durable par le biais des institutions compétentes sont en cours et nous espérons vivement qu'ils produiront des résultats pratiques et concrets.

IRNA : L'opinion publique et même les cercles d'experts avancent que la Russie n'a pas joué un rôle actif ou, en d'autres termes, a été passive dans les récentes tensions dans le Caucase du Sud. Selon vous, la Russie a-t-elle pris des mesures efficaces pour rétablir la paix dans la région ou envisage-t-elle ?

Ambassadeur de Russie : Ecoutez, nous participons activement au processus de normalisation dans le Caucase du Sud. Je fais référence au format 3+3, qui comprend d'un côté les trois pays de l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie, et de l'autre côté la Russie, l'Iran et la Turquie. Nous espérons vivement que dans un proche avenir, cette réunion se tiendra dans le cadre du format mentionné. Comme prévu, Téhéran doit accueillir bien tôt cette réunion et j'espère qu'une aide et une solution pratique à cet effet y seront trouvées. Bien sûr, nous sommes également directement impliqués dans le processus de normalisation entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.

IRNA : En ce qui concerne les plans de paix proposés pour le conflit ukrainien, l'Occident n'a pas de réaction cohérente ou parfois ne les accueille pas chaleureusement. Quelle en est la raison ? Comment voyez-vous l'avenir de la guerre en Ukraine ? Doit-on attendre qu'il se prolonge ou est-il possible d'y mettre un terme dans un proche avenir ? Que voyez-vous comme issue ? Quelle est la position russe envers une possible médiation pour la paix en Ukraine ? Quelles devraient être les dimensions du traité de paix pour l'Ukraine d’après vous ?

Ambassadeur de Russie : Tout d'abord, je dois noter que jusqu'à présent, nous ne voyons pas les bonnes conditions au rendez-vous pour une voie pacifique. La politique destructrice de « l'axe occidentale » menée par Washington n'a pas changé. Leur objectif est d'infliger une défaite stratégique à la Russie sur le champ de bataille. Ils veulent détruire la Russie à cause de ses politiques indépendantes. Les politiques que nos pays (le mien et le vôtre) adoptent sur la base des principes du droit international et du principe d'égalité en politique internationale. Depuis Kiev, Washington et Bruxelles (le siège des institutions européennes) nous entendons dire qu'il ne faut en aucun cas arrêter cette action militaire et que notre pays ne doit pas entamer de négociations. Nous avons proposé de négocier, mais l'Occident et l'Ukraine n'ont pas voulu nous écouter et cela a débouché sur un dialogue de sourds.

Concernant les principes liés à [la paix], je dois dire que nous les avons formulés. Tout d'abord, l'hostilité des forces armées ukrainiennes et l'action de l'Occident dans la fourniture d'armes à l'Ukraine doivent cesser. Ensuite, il faut que les mercenaires internationaux se retirent du territoire de ce pays. Nous voulons également la position neutre et non alignée de l'Ukraine. L’Ukraine doit revenir sur sa décision d’adhérer à l'OTAN et à l'Union européenne. A cela s’ajoute la confirmation du statut non nucléaire de l'Ukraine, et la reconnaissance par Kiev et la communauté internationale de la nouvelle réalité territoriale. Nous exigeons également la démilitarisation et la dénazification de l'Ukraine, la protection des droits des russophones, des minorités nationales et la levée des sanctions. Eh bien, ce sont des conditions parfaitement admissibles. À mon avis, il n'y a rien d'extrême dans nos revendications. Elles sont assez logiques et bien réfléchies.

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