La Révolution islamique est un « véritable éveil de la conscience iranienne » (Iranologue français)
Les Iraniens célèbrent le 44e anniversaire de la Révolution islamique de 1979 dans la capitale Téhéran, le 11 février 2023 sur la place emblématique d'Azadi (Liberté) (Photo: Agence de presse Tasn

Dans un entretien à l’IRNA, et à l’occasion du 44e anniversaire de l’avènement de la Révolution islamique, Morgan Lotz, juriste et iranologue français, a accepté de répondre à nos questions en nous livrant son expertise sur les évolutions iraniennes.

Morgan Lotz, diplômé par la Domuni Universitas sur le shî'isme et l'exégèse coranique, est spécialisé sur l'Iran contemporain. Il est l'auteur de diverses études traitant de sujets variés comme l'histoire, la socio-anthropologie et la géopolitique.

Parmi ses livres on peut citer : Les Iraniennes : permanence & métamorphose de la femme en Iran, une analyse du rôle des femmes dans la société iranienne du XXIe siècle et comment il a évolué au cours de l'histoire tout en adoptant les apports ethniques, culturels et spirituels qui ont forgé le pays.

Comprendre les gardiens de la révolution islamique : leurs engagements et leurs actions, où l'auteur évoque le Corps des gardiens de la Révolution islamique, son histoire et ses buts. Il étudie ensuite l'Axe de la Résistance et ses diverses formations combattantes, notamment les Hashd al-Sha'bi (Force de la Mobilisation irakienne) des unités composées des chiites, des sunnites, des kurdes et des chrétiennes qui ont lutté contre les terroristes de Daech...à l’initiative du général martyr iranien Qassem Soleimani.

Et La constitution de la République islamique d'Iran qui est une présentation de la constitution de la République islamique d'Iran, incluant notamment le contexte historique de sa rédaction et une reproduction synthétique de son contenu.

Voici l'intégralité de notre entretien avec Maître Lotz: 

Quel premier regard portez-vous sur les récentes évolutions en Iran ?

Jamais depuis l’Antiquité l’Iran ne fut aussi fort et cela dérange indéniablement. Depuis plus de 40 ans maintenant, l’Iran a choisi la voie du développement et de l’émancipation pour renouer avec son histoire plurimillénaire qui témoigne d’une immense richesse civilisationnelle. Le constat d’une volonté de nuire à l’Iran et les efforts entrepris dans ce sens par des pays ennemis de l’Iran sont indéniables. Peu importe ce que ces pays peuvent prétendre par leurs réseaux diplomatiques et médiatiques, voire terroristes, l’Iran est depuis toujours un pôle de civilisation et une grande puissance. En comparaison, les Américains et les Arabes sont des barbares, hostiles à la résurgence de l’Iran dans son rôle historique et son droit à la souveraineté. Les actions militaires à son encontre et la guerre qui fut imposée par l’Irak prouvent que la volonté de chaos n’est pas iranienne. L’Iran a toujours défendu la paix au Moyen-Orient et l’entente entre les peuples et les religions, en témoignent les prises de position du Guide de la Révolution Ali Khamenei. C’est en raison de sa volonté de construite une région stable et prospère que l’Iran doit subir les attaques et le harcèlement de ceux qui s’y opposent et ont intérêt au chaos.

Les récents évènements ayant eu lieu en Iran cet automne ont révélé une fois de plus la violation flagrante et manifeste de la souveraineté iranienne et l’ingérence de pays tiers dans ses affaires internes. Ces faits sont d’ailleurs interdits et sanctionnés par le droit international, ce qui ne semble pas perturber les ennemis de l’Iran qui se défend depuis plusieurs décennies contre ceux qui lui interdisent tout simplement le droit d’exister.

Comment réagissez-vous à la marche du 11 février de cette année pour l'anniversaire (44e) de la Révolution islamique d'Iran ? Les ennemis de l'Iran avaient un grand espoir de voir, suite à leurs tentatives combinées et de leur vaste campagne de propagande contre l'Iran, aux problèmes économiques et aux troubles des derniers mois, une faible taux de participation à la marche anniversaire, ce qui n'a pas eu lieu. Comment vous en évaluez la raison ? 

Les Iraniens ont une fois de plus prouvé leur attachement à leur indépendance et leur souveraineté en rappelant que l’unité de leur pays en était la condition. La marche du 11 février concluant le souvenir de la décade de l’Aube n’a pas seulement lieu à Téhéran mais dans tout le pays, indépendamment des provinces et des ethnies. C’est là une belle preuve de l’échec des tentatives d’encouragement du séparatisme dont rêvent les responsables américains et saoudiens. Les Iraniens témoignent aussi de leur attachement envers des institutions solides et pérennes, mais surtout indépendantes, contrairement à la monarchie Pahlavi qui dépendait des Américains et allaient à l’encontre des intérêts iraniens. Les monarchistes ont répandu l’idée en Occident que l’Iran était une démocratie à l’époque du Shah, ce qui est totalement faux : tortures et exécutions de la Savak, parti unique auquel devait obligatoirement adhérer les fonctionnaires, soumission aux ordres venus de Washington, prouvent que c’est faux. Il ne faut pas oublier que Mohammad-Reza Shah est même allé jusqu’à donner en 1971 Bahreïn et les îles Aria et Zard Kouh, amputant de la sorte le territoire iranien.

Le coup d’État de 1953 et la loi de capitulation de 1964 qui conférait une immunité judiciaire complète aux Américains présents en Iran conformément aux ordres de leur gouvernement n’ont pas été oubliés, de même que les crimes des États-Unis à l’encontre de l’Iran depuis la révolution. Les Iraniens ne sont pas dupes des fausses promesses américaines de « soutenir le peuple iranien ». S’ils soutiennent le peuple iranien comme ils le prétendent, qu’ils lèvent les sanctions économiques et les embargos sur les médicaments !

Pour vous, quel était le secret de la durabilité de la Révolution islamique (déjà 44 ans) malgré toutes les tentatives de ses ennemis ?

La révolution islamique a su définir un plan d’évolution et le fixer comme un cap politique. Il ne s’agit pas d’une révolution pour une révolution mais d’un véritable éveil de la conscience iranienne et du sursaut d’un peuple qui ne voulait plus dépendre de la tutelle américaine. Aujourd’hui, l’Iran place en orbite des satellites entièrement conçus par ses ingénieurs formés dans leur propre pays et cela après 44 années de sanctions ! Quel pays peut en faire autant ? L’Iran n’a pas cessé d’évoluer après 1979, bien au contraire. C’est une véritable quête qui est poursuivie en vue de l’émancipation du pays dans divers domaines. L’Iran figure d’ailleurs parmi les meilleurs pays en matière d’éducation et de compétences scientifiques. Et contrairement aux idées reçues, 70 % des élèves des études supérieures en sciences et en ingénierie sont des femmes !

La révolution témoigne aussi d’une volonté du peuple iranien de renouer avec son identité et sa foi qui étaient combattues par le pouvoir monarchique. Les réformes de Reza Shah comme le kashf-é hijab (une loi qui abolit et prohibe, s'il le faut par la force, l'utilisation des voiles traditionneles pour les femmes iraniennes) par exemple prouvent une volonté d’anéantir la culture iranienne pour la remplacer par une copie de la culture occidentale. Le voile appartient à la culture iranienne et ce bien avant la naissance de l’Islam. Le ministre français de la culture André Malraux le rappelait justement dans son livre Les Voix du silence.

La révolution dure encore aujourd’hui en dépit des tentatives de la faire échouer justement parce qu’elle renoue avec l’Iran véritable et ses aspirations. Le mythe d’une monarchie de 2500 ne tient pas devant la réalité : c’est faire fi de la réalité historique. La monarchie fut interrompue par les invasions des arabo-musulmans au 7ème siècle, des Mongols au 13ème siècle ou bien encore des Afghans au 18ème siècle. En dépit des invasions étrangères, l’Iran a toujours su conserver sa culture et sa foi intactes. La foi chiite est intrinsèque à l’âme iranienne qui n’a pas pour autant effacer son héritage spirituel. Les fêtes zoroastriennes sont d’ailleurs toujours célébrées, sans s’opposer à l’Islam, contrairement à ce qui est dit en Occident par des esprits malhonnêtes. Car la révolution fut aussi une avancée considérable pour les minorités religieuses en Iran : elles disposent de députés au parlement, ce qui fut le souhait de l’ayatollâh Khomeyni lui-même qui le fit inscrire dans l’article 13 de la constitution de la République islamique d’Iran. Combien de pays peuvent se vanter d’une telle situation de tolérance ?

La révolution fut le témoignage d’un peuple qui refusa de se soumettre au désespoir d’être effacé et à la destruction de sa culture et de sa foi.

Pensez-vous que l'Occident ignore les réalités de l'Iran d'aujourd'hui (est-il déconnecté), ou a-t-il du mal à comprendre le peuple iranien et ses évolutions ?

Pour répondre à cette question correctement, il est nécessaire de comprendre le contexte dans lequel vivent les Occidentaux. En France, la situation économique est dégradée, semblablement à l’Iran. À la différence que la France n’est pas sous sanction ! Le Français lambda qui travaillent la journée et peinent à payer ses factures, son loyer, son essence et son alimentation chaque mois n’est pas dans une optique d’étudier de manière approfondie l’actualité qui lui est présentée chaque soir au journal télévisé pendant 20 minutes. Il s’informe par extrait, parfois même simplement en lisant les titres des articles qu’il voit défiler sur les réseaux sociaux ou les notifications de son téléphone. Il n’est d’ailleurs plus à prouver que les réseaux sociaux sont utilisés pour orienter leurs utilisateurs vers ce qu’ils souhaitent leur montrer. Plusieurs décennies de propagande et de désinformation provenant majoritairement de l’invasion culturelle américaine, des Moudjahedines du Peuple (le groupe terroriste de l’OMK, très honni en Iran qui bénéficie du soutien et du refuge à l’étranger notamment en Europe, ndlr) et de l’influence des réseaux saoudiens entretiennent cette vision et ne cessent de décrire l’Iran comme un pays malsain. Les populations occidentales sont conséquemment sous l’influence d’une vision erronée, que je n’hésite pas à qualifier de mensongère.

À cela s’ajoute un second facteur et non des moindres. L’image de l’Islam en Occident se résume bien souvent à Daech et ben Laden. En effet, l’Europe a énormément souffert du terrorisme et chaque jour des Européens chrétiens sont agressés et des églises vandalisées et dégradées par des takfiristes. La politique des gouvernements européens est véritablement schizophrénique : les financements et influenceurs provenant du Qatar et d’Arabie saoudite sont les bienvenus pour répandre l’idéologie salafiste et wahhabite alors même que ces pays sont responsables du terrorisme ! Leur influence et leur corruption auprès des responsables politiques occidentaux permet à leur discours anti-iranien d’être entendu et propagé. L’Allemagne a pratiquement interdit le Chiisme sur son territoire alors qu’elle fut le premier pays européen à accueillir les Frères musulmans ! Les gouvernements européens ferment les yeux sur les crimes en Arabie saoudite et au Bahreïn mais tancent sans cesse l’Iran. Les soutiens de l’Arabie saoudite déclarent publiquement que l’Iran est un pays terroriste, ce mensonge étant malheureusement repris par les réseaux d’influence arabes en France. Les faits prouvent l’inverse : les défenseurs de la liberté et de la paix sont les Iraniens et les Chiites. Cette vérité anima mon travail de recherche sur les Gardiens de la Révolution et le général Soleimani. Ce sont les Défenseurs du Sanctuaire et les Hachd al-Chaabi (Force de la Mobilisation populaire en Irak) qui ont sauvé les Chrétiens, les Juifs, les Yézidis, les Kurdes, les Mandéens et même les Sunnites qui étaient promis au massacre par Daech. Contrairement à ce qui peut être dit ou imaginé, beaucoup d’Occidentaux admirent et respectent le général Soleimani lorsqu’ils connaissent ses actions. Les responsables politiques européens lucides savent qu’ils lui sont redevables de la sécurité de l’Europe mais ne peuvent l’avouer sans risquer des représailles américaines.

Nombre d’Occidentaux ne sont pas d’accord avec les choix politiques qui ont conduit à des interventions militaires au Moyen-Orient et en Afrique contre des pays musulmans. Il faut bien comprendre que l’Occidental lambda n’est pas islamophobe mais ignorant de l’Islam. La confrontation avec le terrorisme a créé une peur légitime et compréhensible, mais le terrorisme existe en Europe parce que les responsables politiques le laissent prospérer, soit par lâcheté, soit par corruption et volonté de fermer les yeux sur cet énorme problème. Les Européens ne sont pas fermés à l’Islam mais l’Islam en Europe est gangréné par une haine dirigée à leur encontre par des salafistes et des wahhabites qui confisquent l’Islam aux croyants sincères en prêchant la haine des peuples occidentaux.

Pour résumer, nous pouvons dire que l’Occident ignore les réalités de l’Iran en raison d’une ignorance et d’une déconnexion de la réalité. Cette déconnexion ne concerne pas seulement la géopolitique, mais tous les aspects de la pensée et du domaine intellectuel. Beaucoup regrettent qu’une relève peine à s’assurer pour transmettre l’immense héritage intellectuel de l’Occident qui a su briller dans tous les domaines, y compris pour ce que l’on appelait à l’époque les « études orientales ». Dans La civilisation iranienne paru en 1952, l’archéologue français Alfred Foucher, de confession chrétienne, écrivait « béni soit son nom » à chaque mention du prophète Mohammad, témoignant d’un respect certain. Pendant longtemps, les orientalistes français figuraient parmi les meilleurs connaisseurs de l’Islam, tel René Guénon, Louis Massignon, Gaston Wiet ou bien encore Henry Corbin. Nous avons besoin en Occident d’érudits qui transmettent et élèvent la connaissance.

Enfin, dites-nous ce qui vous a amené à vous intéresser à l'Iran et avez-vous déjà visité notre pays ?

La culture et l’histoire de l’Iran m’ont toujours attiré, de même que les spiritualités chiite et soufie que j’ai pu découvrir grâce aux travaux et aux traductions de Monsieur Henry Corbin qui m’ont permis de découvrir entre autres Sohrawardî, Rûzbehân, Molla Sadra Chirazi, Bistami, Attâr, Nasafi, Nasiroddin Tusi, Rajab Borsi et Sejestânî.

J’ai eu dans mon parcours le privilège de travailler au sein d’un institut culturel à Téhéran et de parcourir l’Iran. Mon temps passé dans le pays m’a permis de vivre parmi la population iranienne et de constater par moi-même le décalage entre ce qui est présenté en Occident et la réalité. Cette expérience m’a énormément formé sur la sociologie iranienne et ma manière d’appréhender les problématiques de mes recherches sur des sujets complexes, notamment l’histoire des femmes en Iran qui fut le sujet de mon dernier livre.

La France et l’Iran sont deux grands pays de culture et de civilisation, des peuples de bâtisseurs et d’intellectuels. Il est donc normal de partager une admiration réciproque et je peux témoigner que les Iraniens admirent la France, son histoire et sa culture. Mon seul regret concernant l’Iran serait de ne pas voir ce pays et ce peuple respectés et enfin admis à leur juste place dans la paix.

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