Jean-Claude Voisin apporte un éclairage nuancé sur le rôle des médias, l’importance de la culture et l’histoire des relations franco-iraniennes. Son point de vue sur la manipulation médiatique et le rôle de la presse dans la construction de l’image de l’autre est particulièrement pertinent dans le contexte actuel.
Voici quelques points forts de cet entretien :
-Son insistance sur la nécessité de dépasser les préjugés et les caricatures, en mettant en avant la richesse de la culture iranienne.
-Son approche comparative entre l’art iranien et européen, qui montre à quel point les échanges culturels ont façonné les civilisations.
-Son travail de terrain et son engagement pour une recherche collaborative entre experts iraniens et européens.
-La référence au discours du général de Gaulle en 1963, qui rappelle une époque où la diplomatie française adoptait une posture plus indépendante.
Enfin, pour lui, l’IRNA peut apporter une contribution significative au développement du journalisme international en couvrant les principaux événements politiques, économiques, sociaux, culturels et sportifs iraniens et mondiaux, et continuer d'être une source d'information respectée et recherchée par les lecteurs tant en Iran qu'à l'étranger. Il s’est dit convaincu que l'équipe unie de l'agence poursuivra ses traditions professionnelles, adhérera aux normes journalistiques les plus élevées et contribuera au renforcement d'un espace d'information pacifique. Voici l’intégralité de l’entretien de la rédaction francophone de l’IRNA avec l’auteur de «L'Iran si loin, si proche» consacré à un partenariat multiséculaire Irano-français, mais pas toujours facile.
IRNA : Bonjour M.Voisin et merci infiniment de nous avoir accordé cet entretien. Quel rôle peut jouer, à votre avis, l'IRNA, dans la diffusion et la présentation de la culture et de l'art iraniens au monde ?
JCV : Il me parait comme un devoir pour une agence comme IRNA de participer à la vulgarisation de la connaissance d’un grand pays, l’Iran, si mal connu de la planète et en particulier des nations et des communautés francophones. Ce qui parait étonnant. Comment un pays, riche de ses plus de 5000 ans de civilisation, peut-il être quelconque et insignifiant, voire superficiel. Les Américains, avec leurs deux cents ans d’histoire, imposent au monde leur modèle ; et tout va bien.
Un pays ne se résume pas à ses dirigeants, aux déclarations fracassantes des uns et des autres mais son socle repose, selon les cas, sur des millénaires d’empilements de connaissances, d’emprunts, d’échanges, de heurs et de malheurs qui forgent ainsi une âme, un esprit, une façon d’être et de réagir. Le systèmes politiques passent, la culture reste. La preuve : Ferdowsi, le chantre du nationalisme iranien, reste vivant comme jamais dans le cœur des Iraniens, après plus de 1000 ans. Ainsi grâce à la diffusion de ce qui fait l’âme de l’Iran, un media comme l’IRNA participe à une autre vision de l’autre, dépassant le seul cadre des différences, des hostilités et des concurrences.
Comment un francophone d’Europe ne va-t-il pas se reconnaitre un peu dans la coupole de la Mosquée du Vendredi à Ispahan, annonciatrice de l’art roman, comment ne pas voir dans les carreaux émaillés de Kashan ou d’Ispahan, les ancêtres des azulejos portugais ou les carrelages des riches demeures espagnoles. Les exemples sont innombrables. Ainsi en découvrant le grand livre de la culture et de l’art iraniens, un Européen retrouvera une partie de ses racines mêlées au cours des siècles qui ont vu les artisans et les artistes, les diplomates, les scientifiques, les commerçants, voire les religieux, parcourir la Perse-Iran, échanger, apprendre, partager leurs connaissances avec ce grand peuple.
-IRNA : Que pensez-vous du rôle de la presse dans la construction de l’amitié et de la paix, ainsi que dans la création de la guerre et l’aggravation des situations ?
JCV : Je pense que les médias pourraient avoir un grand rôle dans la construction de l’image de l’autre. Mais c’est de moins en moins le cas. Dans tous les pays, on assiste à la manipulation de l’image tronquée de l’autre insistant sur le négatif, les violences, probablement aussi les erreurs. On juge, on condamne au nom de sa propre culture, de son idéologie.
Le Général de Gaulle, lors d’un voyage à Téhéran en octobre 1963 - voyage considéré par son équipe comme le deuxième le plus important de tous ses déplacements – s’exprimait, devant les invités, des enseignants, des chercheurs, des intellectuels iraniens, sur la nature des relations et l’amitié qui unissaient les deux pays : « amitié qui est née, non pas de la contrainte, mais du libre choix ; les rapports de courtoisie et les échanges intellectuels remontent loin, entre l’Iran et la France. Mais les hommes et les femmes qui sont venus ici autour de moi aujourd’hui sont pour une part importante, ceux qui ont choisi notre pays pour y poursuivre et y achever leurs études, pour y apprendre la langue française, les sciences désintéressées, les techniques, le droit, la médecine… Ces générations d’intellectuels iraniens, que j’ai l’honneur de saluer ici, dans leur pays, où ils exercent de hautes fonctions politiques, militaires, juridiques, universitaires, sont venus aujourd’hui pour témoigner de l’estime qu’ils portent à la France pour les connaissances qu’elle leur a fait acquérir, et pour le goût de la recherche et du travail désintéressé qu’elle leur a communiqué ». Et le Général de magnifier l’âme iranienne : « … ce sens de l’hospitalité, cette philosophie à la fois patiente et résignée, cette intelligence si pénétrante, si volontiers accueillante, et si prompte à s’adapter… ». Le Général poursuit : « en toute liberté, deux pays éloignés l’un de l’autre comme l’Iran et la France peuvent cultiver ensemble l’amour des mêmes valeurs humaines : valeurs morales, intellectuelles, valeurs artistiques et pratiques ; Français et Iraniens peuvent trouver, sur le plan de l’amitié, dans le respect de la différence, des liens de fraternité capables de les unir ». La hauteur de vue de de Gaulle, respectée dans le monde entier, affirmant son indépendance entre les blocs du moment, proposant aux peuples, dénommés de nos jours sud global, que la France était là pour tenter de comprendre nos différences dans le respect de l’autre, sans vouloir imposer quoi que ce soit à l’autre.
Ainsi la presse peut à travers la diffusion d’un patrimoine authentique, objectif, participer à l’élaboration d’une vision constructive de l’autre, au-delà de toute idéologie politique, mercantile ou religieuse.
IRNA : s’agissant du rôle culturel des médias, quelle approche aujourd’hui ?
JCV : La coopération culturelle est un bien pour l’Humanité. J’aimerais bien parler aussi à cette occasion, de mon dernier ouvrage sur les sassanides et l’intégrer à votre question.
Le dialogue a toujours été un remède pour la compréhension, l’apaisement des incompréhensions, le règlement des conflits (diplomatie). Encore fait-il que celui-ci ne soit pas un dialogue de sourds. Le partage des connaissances dans des approches différentes nourrit la nuance, si peu présente de nos jours dans les jugements hâtifs et catégoriques qui ponctuent malheureusement notre quotidien.
Pour ma part, parcourant régulièrement l’Iran depuis près de 17 ans, j’ai choisi de mettre au service de la connaissance de ce pays étonnant, ma formation universitaire. Ainsi depuis toutes ces années, je parcours le territoire iranien dans tous les sens, à la recherche des forteresses antiques et médiévales, ma spécialité universitaire. Chaque année je fais de formidables découvertes, tout en créant une amitié avec tous ceux qui m’accompagnent dans mes virées sur le terrain, dans le massif du Zagros, sur les bordures du désert du Lut…
Mais cela ne suffit pas, je crois qu’il est important, que pour un étranger comme je le suis dans ce pays, je restitue le fruit de mes recherches. Mon approche est fondée sur nos méthodes européennes de la recherche, elles complètent celles de mes collègues iraniens. Depuis quelques années, je bâtis des équipes pour des publications communes, dans lesquelles chacune et chacun participe avec sa propre culture, ses méthodes propres, une autre sensibilité. Je pense ainsi construire une communauté humaine du partage et chacune et chacun en sort grandi dans la différence.
Ce travail sur une époque, la dynastie sassanide (224-651 ap. J.-C), qui a marqué non seulement l’Iran mais la Méditerranée, l’Europe, est l’illustration d’un partage qui se fait sans arrière-pensées, sans calcul mais qui repose sur la passion de la recherche et l’envie de la transmettre au plus grand nombre et déjà au pays qui a servi de laboratoire.
IRNA-Et une petite conclusion peut-être ?
L’IRNA fête ses 90 ans, près d’un siècle d’existence. L’agence née dans l’Iran, que les Occidentaux appelaient encore la Perse, a traversé plusieurs formes de gouvernements de l’Iran, tout en ne perdant pas son ADN, informer sur tous les sujets, en privilégiant la culture qui reste certainement le ciment le plus assuré pour une compréhension de l’évolutions de nos sociétés, qui sont passées durant ces 90 années d'un monde souvent majoritairement rural et traditionnel à une civilisation urbaine, de consommation, orientée vers la modernité. Cette course à la modernité ne se fait pas sans heurts. Il est alors indispensable pour une agence multidirectionnelle comme l’IRNA, de ne pas ignorer les valeurs millénaires de l'Iran, de les faire connaitre, de les didactiser.
Le département francophone est tout à fait à la hauteur par l’engagement et la compétence linguistique de ses jeunes journalistes-traducteurs et contribue ainsi à maintenir les ponts entre les cultures iraniennes et françaises, qui depuis près de 300 ans s’alimentent et s’admirent. L’équation pour la rédaction est de maintenir un cap malgré des soubresauts dont l’Histoire n’est pas avare. La modération, la nuance doivent restées les valeurs cardinales de l’éthique rédactionnelle, avec cet oeil iranien, quelque fois ironique, toujours perspicace, sans tomber dans la diatribe démesurée. L’Iran a trop d’atouts pour ne pas tomber dans la caricature. Le pays fut de longs siècles la Lumière du Moyen Orient ; l’IRNA doit s’en faire le relais, en coopération avec des interlocuteurs des 4 coins du globe, pas seulement de l’Occident ; l’Europe conservera toujours néanmoins une place privilégiée, même si en ce moment elle l’ignore ou ne veut pas le voir.
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Jean-Claude Voisin
Ancien directeur de l’Institut Français de Téhéran (2008-2011)
Membre de la Société Asiatique (Institut de France-Paris)
Mars 2025
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