Thierry Coville, chercheur à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), s'est exprimé, dans une interview exclusive accordée à l'IRNA, sur l'initiative que les pays européens devraient prendre face aux sanctions illégales, unilatérales des États-Unis imposées contre les pays tels que l'Iran.
Docteur en sciences économiques, Thierry Coville effectue depuis près de 20 ans des recherches sur l’Iran contemporain et a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur ce sujet. Cet expert français travaille également sur la problématique des économies pétrolières. Il est professeur aux grandes écoles de commerce de Paris.
L’IRIS est un Think tank français travaillant sur les thématiques géopolitiques et sur le décryptage des questions stratégiques. Les chercheurs de cet institut participent à de multiples conférences en France et à l’étranger. L’IRIS est classé au 29e rang mondial pour la catégorie « Meilleur think tank sur les questions de politique étrangère et affaires internationales », du Global Go-To Think Tanks 2019 de l’Université de Pennsylvanie, classement de référence sur les think tanks dans le monde.
Vous trouverez ci-dessous la version intégrale de l'interview exclusive de l'IRNA avec Thierry Coville:
1. Joe Biden, le président élu des Etats-Unis a manifesté son intention de rejoindre à l’accord nucléaire iranien (JCPOA), mais il l’a qualifié quand même de « difficile » , pourquoi à votre avis, une telle « intention » ? Et pourquoi ce retour est « difficile »?
Thierry Coville : Peut-être, le Président américain estime que la sortie de l'accord par Trump en 2018 a accru le degré de méfiance entre l'Iran et les Etats-Unis.
2. Donald Trump, durant sa présidence, a parlé à maintes reprises de son désir de négocier avec l’Iran. Pourquoi ces négociations n’ont jamais réalisées? Dans quelle mesure pensez-vous que ces déclarations étaient réelles? Quelles sont, à votre avis, des causes pour lesquelles ce désir de Donald Trump est resté au niveau d’un rêve?
Thierry Coville : Il est possible que Donald Trump ait été mal conseillé. Il est également possible que Donald Trump ait surtout voulu sortir de l'Accord de 2015 sans vraiment préparer une stratégie diplomatique correspondant à cette action.
3. Les Européens ont toujours parlé de la nécessité pour l'Iran de revenir à ses obligations dans le cadre du JCPOA alors que l’Iran avant de démarrer son plan de réduction de ses engagements en matière nucléaire, avait pleinement respecté toutes ses obligations mais des Européens n’ont pas pris de mesures efficaces pour préserver cet accord. Est-ce qu’à votre avis, des Européens veulent-ils vraiment maintenir le JCPOA? y a-t-il, à votre avis, assez de volonté et indépendance chez les Européens à ce sujet? Qu'est-ce qui fait peur à l'Europe à l’égard du respect de ses obligations?
Thierry Coville : Je pense que les Européens ont démontré leur volonté de défendre le JCPOA. Cette volonté ne fait aucun doute. Il faut se rappeler qu'en plusieurs occasions les Européens se sont opposés aux Etats-Unis aux Nations-Unies quand le gouvernement américain a voulu s'opposer à la levée de l'embargo sur les armements appliqué à l'Iran ou quand il a demandé le déclenchement du mécanisme de snap-back. Parallèlement, il est vrai que les Européens n'ont pas pu vraiment s'opposer à la réinstauration des sanctions américaines contre l'Iran. Une réflexion est engagée en Europe sur la manière dont les gouvernements pourraient s'opposer aux sanctions américaines et notamment leur caractère extraterritorial.
4. Les Européens semblent avoir salué le résultat des élections américaines et être satisfaits de la défaite de Trump. Quelle en est la raison à votre avis?
Thierry Coville : La présidence de Trump a été caractérisée par la volonté du gouvernement américain de poursuivre une politique étrangère de nature unilatérale. Les Européens pensent qu'avec Biden, les Etats-Unis vont revenir à une politique étrangère multilatérale où ils auront une vraie place. En outre, le gouvernement américain de Donald Trump ne semblait pas considérer l'Europe comme un allié historique. Les Européens espèrent donc également que la relation avec les Etats-Unis sera, sous Biden, plus apaisée.
5. Pendant la présidence de Biden, les Européens penseront-ils de plus en plus à leur indépendance vis-à-vis des États-Unis ou continueront-ils à poursuivre la politique de Washington?
Thierry Coville : En tant qu'analyste, j'espère que les Européens sauront développer ce qu'ils appellent "l'autonomie stratégique" européenne. Comme je l'ai déjà dit, cela prendra du temps parce que l'Union Européenne est toujours en construction. Il faut développer les institutions européennes notamment pour créer les "instruments" pour résister aux sanctions américaines et leur nature extraterritoriale. C'est une tache difficile parce qu'il faut mettre d'accord 27 pays, qui ont ont chacun, des visions historiques différentes.
6. Les sanctions américaines, qui ont entravé l'accès de l'Iran aux médicaments et à l'équipement médical et ont rendu plus difficile pour l'Iran de lutter contre le coronavirus, peuvent maintenant empêcher l'Iran d'avoir tout accès au vaccin COVID-19. Que pensez-vous de ces sortes de sanctions qui visent la santé humaine?
Thierry Coville : Les sanctions américaines contre l'Iran officiellement n'incluent pas le secteur de la santé. Cependant, on sait que de nombreuses banques, de peur des sanctions financières américaines, refusent d'effectuer des transactions avec l'Iran, même si ces transactions concernent le secteur de la santé. On peut donc parler d'une certaine hypocrisie de la part des autorités américaines quand elles prétendent que le secteur de la santé n'est pas concerné par les sanctions.
7. À votre avis, quels étaient les objectifs cachés de l'assassinat d'un éminent scientifique iranien et qui sont des acteurs éventuels de cette terreur? Quelles sont les conséquences ou les retombés de l'assassinat de scientifiques et de personnalités scientifiques des pays?
Thierry Coville : De nombreuses analyses pointent la responsabilité d'Israël dans cet assassinat. Dans ce cas, on peut penser que cet assassinat a au moins deux objectifs. Le premier est de pousser l'Iran à réagir pour venger cet assassinat. Une telle réaction pourrait dans ce cas légitimer une attaque militaire américaine contre l'Iran. Le deuxième objectif est de susciter la colère dans l'environnement politique iranien. L'idée serait ici de pousser un certain nombre d'acteurs politiques en Iran à s'opposer à toute possibilité de discussion avec les Etats-Unis, ce qui rendrait plus difficile la tâche du gouvernement américain qui veut revenir dans l'accord sur le nucléaire de 2015.